Le Noël de Juliette

Noël approche

Les feuilles d’automne étaient tombées depuis quelques semaines : il y avait eu beaucoup de vent le mois précédent avec de longues journées de pluie. Maintenant l’hiver, avec le froid comme compagnon, avait pris sa place. Il était de plus en plus difficile pour Juliette, le matin, de se réveiller et surtout de se motiver pour aller à l’école : elle aurait tellement préféré rester au chaud au fond de son lit. Mais voilà, même si les vacances approchaient, elles n’étaient pas encore là.

La maman de Juliette avait prévu de décorer la maison la semaine suivante, juste avant Noël qui tombait au milieu des vacances cette année. Ce n’était pas la décoration de la maison qui rendait Juliette heureuse : la préparation de la fête, c’était bien. Ce qui la rendait à la fois joyeuse et triste, c’était son rêve secret qu’elle avait confié à sa meilleure amie Léa : en fait, Juliette avait remarqué dans sa classe un certain Samuel qui paraissait bien sympathique et était, comme elle, un peu timide. Samuel avait prévu, avec Hugo et Chloé, deux amis de classe, de répéter des morceaux de musique qu’ils joueraient après Noël à la maison de retraite.

Léa allait partir au loin pendant toutes les vacances chez ses grand parents. Juliette, elle, espérait pouvoir intégrer le groupe des musiciens. elle les accompagnera bien-sûr le jour venu mais sans avoir rien à apporter au groupe : Juliette ne jouait pas d’instrument…

Les Bambous de Lucas

Ce samedi matin, la maman de Juliette demanda à celle-ci d’aller avec son petit frère Lucas chercher le pain à la boulangerie. En sortant de la boutique, elle vit en face un monsieur qui tendait la main et demandait l’aumône. L’homme portait un bonnet rouge de Père Noël, mais son allure restait misérable. Lucas, à qui Juliette avait donné la monnaie du pain, traversa la rue piétonne pour lui mettre les piécettes dans sa main gelée. Le monsieur versa les pièces rouges dans une longue boite, un tube en bambou décoré d’une étiquette rouge aux étranges lettres d’or puis il remis le couvercle et secoua la boite devant lui, à l’horizontale. Les pièces tintèrent à l’oreille de Lucas. « C’est beau, hein, p’tit gars ! Ça sonne bien ! » dit le vieil homme à Lucas immobile qui fixait la boite du regard. « Attends, p’tit gars, j’en ai d’autres. C’est le restaurant vietnamien qui me les donne. » dit-il à l’enfant en fouillant dans son sac. Il sortit deux tubes qu’il tendit devant lui et dit « Tu peux faire la même chose en mettant des graines dedans. C’est quoi ton p’tit nom, p’tit gars ? » « Lucas » répondit l’enfant en prenant les boites. « Joyeux Noël, Lucas. » lui dit-il avec un clin d’œil complice.

Sur la route du retour, Juliette promit à Lucas de l’aider à emballer ses cadeaux, ce qu’il firent rapidement une fois rentrés : un paquet pour Grand Ma, un pour Maman, un pour Papa. Lucas n’avait rien pour sa grande sœur. Il lui fera un dessin. Puis il se précipita dans la cuisine pour manger une croûte de pain frais. Il retrouva les deux boites en bambou qu’il avait posées près du pain et une idée lui vint. Ni une ni deux il profita du sachet de riz sorti, en vue du repas, pour remplir ses deux boîtes : une cuillère à soupe dans chaque bambou. Puis il demanda à sa maman : « Je peux prendre aussi des haricots ? » Sa mère, qui se demandait à quoi pouvait bien servir ce mélange de graines, lui donna une poignée de haricots secs. Luca les répartit dans les deux boites. Il remit les couvercles qu’il scella d’un tour de scotch large. Après avoir fait un petit dessin dessus, il écrivit comme il put à coté des lettres d’or : « JULIETTE NOEL » Il ne savait pas comment écrire “Joyeux”.

Vive Noël

Le jour de Noël arriva. Tout le monde se retrouva au pied du sapin à coté de la crèche. Lucas déballait ses cadeaux avec empressement et une joie non dissimulée, distribuant des bisous par-ci, des bisous par-là. Tout à coup, sa sœur se précipita sur lui et lui fit un énorme bisou en le remerciant de tout son cœur. Lucas était très content bien-sûr d’avoir eu des cadeaux, très content aussi d’avoir fait plaisir à sa sœur. Mais il était surpris par une si vive réaction. Le reste de la famille était encore plus étonné : que deux boites remplies de graines et décorées par Lucas mettent Juliette dans une telle joie, cela était étrange ! Cela s’éclaira quand elle expliqua, des larmes de joie dans les yeux, que grâce à Lucas, grâce à ses bambous transformés en maracas, elle allait pouvoir trouver une place dans l’orchestre de musique de ses amis et les aider à garder le rythme. S’il lui fallait une raison pour intégrer le groupe, elle l’avait maintenant…

Lucas raconta à son tour aux parents et à la grand mère, Grand Ma, l’histoire du vieil homme et des maracas . Grand Ma leur dit tout simplement : « Et si c’était ça le sens de Noël ? Un bébé, Jésus, venu réveiller le meilleur partout dans le monde autour de nous et au cœur de chacun de nous : l’Amour. Et donc finalement vivre de cet amour nous permet de devenir cadeau les uns pour les autres, juste en étant soi même ! Vive Noël ! »

Bien plus tard

Bien des années après, Juliette avait appris la musique : elle chantait maintenant accompagnée de sa guitare. Elle continuait, avec ses amis, à offrir un concert chaque Noël à la maison de retraite. Et même si elle avait aujourd’hui des instruments bien plus élaborés, chaque fois, elle glissait dans son sac les précieuses boîtes en bambou offertes il y a longtemps par une dame étrangère à un clochard, puis par le vieil homme à un enfant inconnu, puis par son petit frère à elle, puis par elle, à travers la musique, aux amis et aux personnes âgées. Et si elle avait oublié maintenant les autres cadeaux reçus cette année-là, ces deux modestes tubes remplis de graines lui rappellent chaque année le mystère de Noël.

Servigne & Chapelle, l’Entraide

Depuis deux siècles, en Occident, s’est développée l’idée que l’homme est un loup pour l’homme et qu’il en est ainsi de toute société humaine, et même de toute la création : la célèbre supposée loi de la jungle. La nature serait-elle un immense entre-dévorement impitoyable, selon l’expression de Bakounine et de Mauriac ? Ainsi fut justifiée l’économie libérale, et ceux qui voient le monde autrement furent taxés de naïfs vivants dans un univers de bisounours.

Mais on s’est trompé ou on nous a trompé. La nature est fraternelle et les hommes savent fraterniser, l’expérience le montre. Depuis quelques milliards d’années que la vie existe, les relations d’entraide sont au moins aussi nombreuses que celles de lutte dans la nature. Et, contrairement aux idées reçues, lors de catastrophe ça n’est pas le chacun pour soi qui l’emporte

Dans cet univers de coopération, d’assistance, l’être vivant le plus relationnel, le plus empathique, c’est l’humain. Sa venue au monde, comme être inachevé, totalement dépendant de se parents, du clan, de la société, a inscrit l’empathie dans les gènes de l’espèce, dans la culture.

Il y a huit siècles déjà, à Assise, François célébrait cela : la fraternité dans la Création.

Servigne Pablo et Chapelle Gauthier, L’entraide: l’autre loi de la jungle, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, 381 p. ISBN 979-10-209-0440-9

Henry David Thoreau – WALDEN ou la vie dans les bois

Henry David Thoreau – WALDEN ou la vie dans les bois

Cet été, je suis allée à pied, de Limoges à Saint Jacques de Compostelle. Ma pérégrination a été accompagnée par la lecture de Walden, de H D Thoreau, et je trouve intéressant d’en partager la philosophie en quelques lignes sur le site d’Imagine.

Henry David Thoreau – WALDEN ou la vie dans les boisHD Thoreau (1817–1862) est un philosophe américain original, qui met en actes ses convictions : c’est ainsi par exemple, qu’il sera brièvement emprisonné parce qu’il refuse de payer ses impôts ; il prône ce qui deviendra la désobéissance civile et influencera bien avant le Mahatma Gandhi, Martin Luther King ou Lanza del Vasto, des générations de citoyens. Dans l’ouvrage Walden paru en 1854, qui se situe à mi-chemin entre les genres que sont le roman, l’essai et la biographie, Thoreau raconte, à partir des notes nombreuses de son journal, comment il vit la simplicité volontaire : une idée qui fera son chemin et annonce celle de sobriété heureuse portée par notre contemporain Pierre Rhabi.

D’abord, Thoreau évoque le cadre de son expérience d’immersion dans la nature, à l’étang de Walden, près de Concord au Canada, et développe à travers son écrit, ce qu’on appellerait aujourd’hui, une observation participante fine qu’il exprime souvent avec force traits poétiques, ce que lui permet sa grande érudition.

Thoreau aborde, par le biais de son expérience de vie, des thématiques variées : les formes de sociabilité avec les règnes de la nature, les saisons et les personnes de son environnement ; l’argent, le travail et les perspectives d’une économie domestique harmonieuse ; le rapport du corps dans l’habitat; les modes de production (ses cultures) et de consommation (leur usage), dans un monde qui fait naître l’industrialisation ; le rapport à la matérialité des choses, au temps et au transport (grand développement sur le train) ; la construction d’une pensée personnelle spiritualiste et d’un bagage culturel ; la détermination, voire la résistance politiques.

Thoreau le philosophe discute ; aucun positionnement ne va de soi et tout est propre à l’argumentation. Mais la déconstruction, comme on dit aujourd’hui est toujours suivie de pistes possibles d’élaboration. Ses positions sont exigeantes et ne font jamais le lit de la facilité : en effet, simplicité et facilité ne vont pas de pair.

Toutes ces idées sont rédigées dans une langue traduite soixante-dix ans après l’édition anglaise de 1854, par Louis Fabulet, dans un français du XIXe siècle, littéraire délicat et soigné.

J’ai présenté en introduction le contexte de ma lecture, lors d’une pérégrination longue : La forme de l’écriture, organisée en chapitres comme les tranches d’un gâteau qu’on dégusterait les unes après les autres, était tout à fait adaptée à mes rythmes de progression sur le Camino del Norte.

La dimension nomade de ma propre expérience m’empêchait de me charger outre-mesure. Elle était en symbiose avec le propos de Thoreau, et sa réflexion sur les besoins et la nécessité matérielle. Selon lui, la simplicité comme principe de vie est transcendée et peut devenir source de richesses multiples (spirituelles, humaines, naturalistes, culturelles, etc…).

Cet ouvrage est un classique. S’il a influencé bon nombre de penseurs et d’acteurs citoyens, les décennies passées, on peut toujours le lire, pour interroger et tâcher de comprendre les dynamiques à l’œuvre, dans les soubresauts du monde d’aujourd’hui.

Thoreau Henry David, Walden ou La vie dans les bois, traduit par Louis Fabulet, Paris, Albin Michel, 2017, [Walden, or, Life in the Woods, 1854], 448 p. ISBN 978-2-226-32688-1.